
Les partisans du OUI ne seraient-ils pas tout simplement
vexés ? Si l’enjeu pour la vie de millions
d’Européens n’était pas si élevé,
j’oserais même dire : seraient-ils de mauvais
joueurs ?
C’est en effet la question, à mon avis,
légitime qui m’est venue à l’esprit
en constatant l’avalanche de petites phrases
pour assimiler les tenants du Non à des antieuropéens
:
C’est d’abord : «Ceux qui votent
non ne sont pas pour la poursuite de la construction
européenne.» (Dominique Strauss-Kahn).
Puis, «Il y a une idée que les partisans
du non voudraient installer : qu'on peut être
pour le non tout en étant pro-européen.
C'est un bluff, un mensonge grossier.» (Harlem
Désir).
Et enfin, de la
part du Chef de l’Etat, « Vouloir
voter Non à cette Constitution et dire qu’on
est pour l’Europe, c’est malhonnête
! ». Oui, je sais, Chirac parler de malhonnêteté,
Chirac ! L’ex-maire de Paris, l’ex-président
du RPR ! C’est un peu comme si le Diable dénonçait
les péchés capitaux, pour utiliser une
image facile à comprendre pour ceux qui approuvent
l’article I-52 sur le dialogue régulier
avec les Eglises… Mais, revenons
au cœur du sujet. En fait, plus
le début de la campagne officielle s’approche,
plus les discussions tournent autour de cet amalgame « Non
= contre l’Europe » : les commentaires
dans les médias, très largement acquis
au Oui, en sont l’illustration la plus exemplaire
d’ailleurs (ne serait-ce que l’expression « de
mauvais sondages » quand le Non est en tête).
Comme l’annonçait Strauss-Kahn, dans les
colonnes du Figaro du 14 mars dernier, « Il faudra
simplifier la question : Oui ou non, sommes-nous pour
la construction européenne ?» C’est
sans doute le seul moyen pour les ouiouistes de convaincre
les indécis et d’affoler les nonistes
hésitants, puisque leur grand plan de relations
publiques a échoué jusque là !
Au début de la campagne, en effet, les
partisans du Oui se sont d’abord contentés de multiplier
les interventions sentencieuses dans les journaux,
en particulier dans Le Monde, le « grand » quotidien
réputé pour être Le journal de
référence tendant à l’objectivité et à la
hauteur de vues, qui a finalement dû avouer à ses
lecteurs faire campagne pour le Oui. Le style, souvent
condescendant, des articles tendait à montrer
que les tenants du Non ne comprenaient rien et qu’il
fallait des experts pour l’expliquer à la « France
d’en bas ».
J’en choisis un parmi bien d’autres : une
tribune donc écrite par un trio de membres du
Carrefour pour une Europe économique et sociale
(Anne David, Jean-Baptiste de Foucauld et Arlette Heymann-Doat)
et dénonçant la mauvaise foi supposée
des opposants de gauche au projet de Constitution européenne.
Sous le titre « Le Traité proposé n’est
pas gravé dans le marbre », ces trois éminents
experts de la DDE accusaient les opposants de gauche
de manipulation, mais sans jamais avancer d’autres
preuves que leurs propres certitudes.
«
Les termes "gravé dans le marbre" tendent à faire
penser que ce texte serait plus rigide que le traité de
Rome, en raison de son caractère constitutionnel.
Il est inutile d'entrer dans la discussion sur la nature
du texte pour démontrer la vanité du
propos. » Et pourtant, c’est bien la nature
du texte qui importe : traité ou constitution
? Les deux à la fois, mon général
!
C’est un traité ? Alors, pourquoi le Conseil
Constitutionnel a-t-il pris la peine d’expliquer
que ce projet aurait valeur constitutionnelle s’imposant à la
législation française ?
C’est une constitution donc ? Alors, pourquoi
le projet possède-t-il une partie IV qui fixe
les conditions de révision du texte à l’unanimité des
gouvernements nationaux des 25, des parlements nationaux
des 25 et enfin (tout de même) des peuples des
25 Etats membres de l’U.E. ?
Mais, les auteurs
s’obstinaient : « Une
constitution est moins rigide qu'un traité qui,
lui-même, n'est pas intangible. […]Une
constitution est révisable selon une procédure
plus compliquée. Elle dépend d'une majorité de
citoyens ou de parlementaires, non de l'unanimité des
Etats. » Oui, en théorie, mais pas cette
constitution ! Réaffirmer une contre-vérité ne
lui permet pas de devenir une vérité… sauf
quand on pratique le marketing ! Selon les
théories de propagande médiaticopolitique,
remarquablement identifiées par les Américains
Noam Chomsky et Edward S. Herman, dans la Fabrique
de l’opinion publique, pour
donner l’accent
de la vérité à une information,
il suffit de la répéter jusqu’à ce
qu’elle paraisse vraie : quand on aura suffisamment
lu ou entendu que « ce TCE est une Constitution
donc révisable » ou au contraire que « c’est
un Traité comme un autre, donc pourquoi s’en
faire ? », on croira réellement avoir
fait le bon choix !
Le problème est que cette tactique a largement échoué :
les partisans du Non de gauche se sont tellement emparés
du terrain, le texte à la main, que la machine à déformer
le contenu réel du projet s’est mise à tourner à vide. Il
fallait donc empêcher les citoyens d’avoir
librement accès au texte, où ils auraient
pu trouver confirmation des propos des nonistes.
Je discutais il
y a quelques semaines avec une militante d’Attac Aix sur le marché du Jas de Bouffan,
elle m’expliquait être allé demander
un exemplaire du TCE à l’antenne marseillaise
de l’Union Européenne : une demande légitime
de citoyenne souhaitant réfléchir avant
de voter, quoi ! Mais, elle a dû insister pour
l’obtenir, parce que ce qu’on lui distribuait était
un fac-similé du Midi Libre intitulé les
articles principaux de la Constitution ! Et ce sont
de telles pratiques de marketing qu’on ose appeler « la
volonté de sortir de l'Europe des Etats, intergouvernementale,
régie par des traités, pour faire une
Europe des citoyens. » ?
C’est le mépris des citoyens qu’on
organise : à quand les t-shirts « Vive
la Constitution » distribués dans les
enceintes sportives comme en Espagne avant le référendum
? Ou la lecture quotidienne d’articles de la
Constitution par des « people » ? On y échappera
sans doute : il semble que le projet, envisagé dans
les cercles proches du pouvoir présidentiel,
ait été enterré (faute de temps
ou par lucidité ?). Mais, nous avons quand même
droit aux bus de l’Europe ! Dans cette
dernière partie de la campagne,
la propagande du Oui s’est donc orientée
vers un autre des processus classiques de fabrique
de l’opinion publique : utiliser des images fortes
et simplistes, le symbole doit compter plus que le
fond !
Ainsi, le chef
de l’Etat (oui encore lui, mais
après tout il est le premier défenseur
du oui) avait lancé l’image du mouton
noir que serait la France dans l’Europe après
un vote non ! Même en laissant de côté les
relents xénophobes voire racistes de cette image
(qu’est-ce qu’il a contre les moutons noirs
d’abord ?), on peut s’opposer à cette
simplification iconographique par une autre fable animalière
: celle du vilain petit canard ! Vous savez celui qui,
rejeté par tous les autres canards (libéraux
?), finit par devenir un beau cygne au milieu de ses
congénères (de gauche ?) ? A marketing,
marketing et demi…
Oui, nous sommes
dans l’ère de la « com’ » :
slogan, logo, symbole… Mais, les partisans du
Oui avancent masqués : ils ne font jamais ô grand
jamais de propagande ou de relations publiques, mais
toujours de la « pédagogie » bien
sûr ! Dommage pour eux qu’elle ait des
relents réactionnaires : « Si la France
vote Non, elle sera mise au piquet ! » dixit
Jean-Claude Gaudin. Pour conclure,
j’ai reçu aujourd’hui
dans ma boîte aux lettres mon exemplaire du projet
de Constitution : ô surprise, il contient toutes
les annexes (protocoles et déclarations) que
jusqu’alors, on ne pouvait trouver que sur Internet
(en particulier sur notre site, un peu d’autocongratulation
de temps en temps ne peut faire de mal) ! J’aurais
voulu terminer par cette note positive, mais hélas,
le texte est accompagné de la goutte d’eau
qui fait déborder le vase d’une campagne
non démocratique : un exposé des motifs
de sept pages parfaitement partisan ! Qui nous annonce
même que, grâce à la Constitution,
on aura droit à une Europe plus solidaire…
Il ne nous
reste plus que vingt jours avant le référendum
: vingt jours pour faire comprendre aux ouiouistes
que le peuple français en a marre de la politique-marketing,
vingt jours pour sauver la construction européenne
de ce projet de constitution !
Stéphane Desmaison
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