
En tant qu’homme de gauche, j’ai toujours
rêvé d’une Europe des sciences,
des arts, des grandes conquêtes sociales, de
la démocratie et de la paix, de l’Europe
des forces du travail et de la culture. De l’Europe
des peuples.
Quand, finalement, le moment
est arrivé où la
Grèce a pu décider si elle y participait
ou non, on sortait à peine de l’épreuve
de sept années de dictature militaire, et en
même temps nous étions menacés
par les militaires turcs.
Ces événements m’ont conduit alors à prendre
position en faveur de l’Europe que je considérais
comme un bouclier de protection de la démocratie
et de notre indépendance nationale.
Parallèlement, je dois dire que j’ai
considéré qu’une occasion réellement
historique s’offrait aux forces de progrès
et de la gauche pour commencer à s’élever
face à l’Europe du capital que les gouvernements
de l’Europe construisaient, et à créer
l’Europe du travail et de la culture. L’Europe
de la solidarité sociale. Qui, en réalité,
empêchait les partis de gauche, les syndicats,
les intellectuels, les artistes et les mouvements progressistes
en général de prendre des initiatives,
de discuter, de collaborer, de se donner des objectifs
sociaux et de rallier derrière eux la majorité écrasante
des Européens ?
Malheureusement, rien de
tout cela n’est arrivé,
et c’est ainsi que nous sommes aujourd’hui
au point où nous nous trouvons. Les peuples
ont été laissés sans défense
devant les forces du capital, sous sa forme, dirais-je,
la plus sauvage. Le capital qui constate qu’il
a les mains libres de faire ce qu’il veut, étant
donné qu’il n’y a plus des forces
sociales et politiques valables pour lui résister.
Lentement, mais sûrement, la loi du plus fort
gagne toujours plus d’appuis, et cela non seulement
dans l’espace du libre-échange ; tout
comme elle conquiert constamment des positions dans
le domaine des mass media et dans le domaine de la
gestion du contrôle de l’opinion publique,
en entraînant avec elle cette néo-barbarie
incroyable qui conduit à une chute vertigineuse
de toutes les valeurs culturelles et morales accumulées
jusqu’à nos jours à travers des
traditions centenaires par les peuples d’Europe.
Cependant, malgré cette sombre situation des
peuples minoritaires tel le nôtre, nous n’avons
malheureusement pas le luxe du choix comme vous, parce
que, pour le moment, l’Europe est notre choix
vital. Notre position géographique, la situation
chypriote, notre relation avec la Turquie et les comportements
négatifs des grandes puissances à notre égard
doivent nous rendre très attentifs aux pas que
nous devons faire.
En ce qui concerne notre
situation économique,
je dirai seulement ceci : quel autre pays en Europe
est condamné à dépenser une part
aussi élevée de ses revenus pour des
armements militaires ? Et cela parce que l’Europe
n’a jamais accepté de garantir la sécurité de
nos frontières, et à Chypre même
(qui fait partie aujourd’hui de l’Union
européenne) des armées étrangères
(turques) et des bases militaires (anglaises) continuent
d’être stationnées.
J’espère, avec tout ce que je viens d’exposer,
qu’il devient clair pourquoi j’ai cosigné le
texte de Jack Lang concernant la constitution pour
laquelle il y aura chez vous en France un référendum.
Je considère qu’il est extrêmement
intéressant que le problème qui est apparu
depuis lors ait bouleversé mon pays et m’ait
obligé à retirer ma signature, ait surgi
au moment précis où des peuples, comme
le français, décident de l’avenir
de la constitution européenne.
Et cela parce qu’il révèle que
la conception de l’intérêt public
et du droit peut être mise en doute, sinon être
renversée par n’importe quel commissaire
européen.
Il est néanmoins une nécessité absolue
de voir l’essentiel du problème qui nous
préoccupe et pour lequel la Grèce est
appelée à se justifier, faute de quoi
elle sera citée devant la Cour de justice des
communautés européennes et menacée
du retrait des subventions européennes.
Bien que le problème du contrôle des
mass media par des géants économiques
ne soit pas un phénomène exclusivement
européen, chez nous, cependant, il a connu une évolution
spectaculaire au point de devenir un vrai problème
national... Et pour être clair, en vérité,
il ne s’agit pas d’un problème,
mais d’un cancer.
Comme partout ailleurs, chez
nous aussi il existe des groupes économiques qui ont conquis le contrôle
total sur 80 % de la presse écrite et des chaînes
de télévision.
La dernière décennie a été une
période durant laquelle la Grèce a été inondée
de montants énormes de subventions communautaires
avec, comme visée, la réalisation de
travaux précis pour lesquels cet argent a constitué précisément
le grand attrait.
C’est alors qu’a été montée
la mise en scène qu’on appelle « diaploki »,
c’est-à-dire la compromission entre des
gens détenteurs des capitaux et des hommes corrompus
de la politique et de l’administration, de sorte
que cette manne d’argent a été dirigée,
pour une grande partie, directement vers les entrepreneurs
des travaux publics qui étaient en même
temps les propriétaires des mass media les plus
importants.
Pour que ce mal soit éradiqué, il y
a trois ans, le gouvernement socialiste d’alors
(PASOK), au cours de la révision de la Constitution
hellénique, a corédigé l’article
14, qui a été voté par l’écrasante
majorité du Parlement grec et qui précise
qu’un grand propriétaire de mass media
ne peut pas être simultanément entrepreneur
de travaux publics. Et pour que cet article soit appliqué,
le Parlement a voté une loi appropriée
qui, cependant, laissait encore des « fenêtres » ouvertes
en faveur des grands propriétaires, des grands
entrepreneurs, fenêtres que le nouveau gouvernement
a entrepris de fermer au moyen d’une nouvelle
loi.
Comme il fallait s’y attendre, depuis lors la
réaction a été brutale. Pourtant,
la majorité de notre peuple continue d’être
unie contre la « diaploki » et la corruption.
Jusqu’à ce que M. McCreeve, de la Commission
européenne, nous arrive... Le commissaire qui
veut désormais imposer à notre pays la
volonté des cercles monopolistiques grecs. C’est
là la réalité crue, et je pense
qu’elle nous aide à voir ce qui nous attend
encore à l’avenir, étant donné que
dans ce cas concret l’identité de vues
entre la Commission et les cercles de l’oligarchie
grecque fonctionne au détriment du peuple grec.
Pour conclure, je relate
les « oeuvres » des
cercles économiques grecs qui ont réussi à dominer
non seulement l’économie du pays, mais
aussi d’autres secteurs nationaux sensibles,
comme la libre circulation des idées et de la
culture, aboutissant à l’altération
même de notre régime démocratique.
Ce sont les dix plaies du pharaon qui frappent la vie
publique de notre pays :
- contrôle de l’ensemble de l’information
;
- formation
et contrôle de l’opinion
publique par des centres extra-institutionnels
;
- contrôle
absolu de la vie intellectuelle et artistique,
ainsi que
du divertissement ;
- gestion
de biens tels que la libre circulation des
idées par le pouvoir de l’argent
;
- formation
d’une nouvelle éthique par
la généralisation des émissions
qui ravalent la dignité humaine ;
- abaissement
du niveau intellectuel, mental, éducatif,
culturel, artistique et moral d’un peuple au
moyen d’un bombardement quotidien par l’abêtissement
et la barbarie : c’est un crime national
;
- démolition de l’oeuvre et de la contribution
de tous les travailleurs grecs de l’esprit et
de l’art ;
- prise
d’influence profonde sur le domaine public
par l’utilisation comme arme de l’attrait
de la promotion, etc., afin de décrocher de
façon privilégiée la part du lion
de l’argent public ;
- gestion
de l’argent public par l’objet
de transactions à travers un chantage imposé par
l’énorme puissance des mass media,
ce qui est un autre crime national ;
- décomposition des institutions démocratiques.
Imaginez donc combien notre
position devient difficile (après tant des combats durs que nous avons
menés pour la consolidation de la démocratie)
d’avoir à affronter, en plus de nos adversaires
tout-puissants de l’intérieur, la Commission
européenne !
Que le peuple français prenne la mesure de
l’identité de vue entre Commission et
capital et qu’il en tire ses conclusions.
Traduit par Guy Wagner et Iraklis Galanakis
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