
Pour Nicolas Sarkozy « La France restera derrière,
isolée, elle ne pèsera plus ». Pour
Jacques Delors, il y aura un « cataclysme politique » en
France, et en Europe une « crise très grave ».
En vérité, si le « non » l’emporte,
deux aspects sont à considérer : au plan
juridique et au plan politique.
1.- Sur le plan juridique
Contrairement à ce que prétendent les
partisans du « oui », une victoire du « non » ne
changerait strictement rien par rapport à la
situation actuelle.
La Constitution européenne, certes, deviendrait
immédiatement caduque, et c’est précisément
le combat que nous menons. Beaucoup de citoyens croient
pourtant que la Constitution s’appliquerait alors à tous
les pays de l’Union, sauf à la France
! D’où la crainte de l’isolement.
Il nous faut marteler que c’est le traité de
Nice qui régira l’Union européenne,
comme c’est le cas aujourd’hui.
Il est vrai que pour des raisons purement électoralistes,
les partisans du « oui » disent le pire
de ce traité qu’ils ont pourtant signé avec
enthousiasme. Pour l’UMP, ce serait le « pire
traité jamais élaboré en matière
de construction européenne ». Pour le
PS, nous aurions « une Europe en crise à partir
de laquelle rien ne sera possible pour l’avenir ».
Au lendemain de la signature du traité de Nice,
Jacques Chirac déclarait pourtant que c’était
le « meilleur texte européen signé depuis
l’existence du Marché commun »,
alors que Lionel Jospin, Premier ministre à l’époque,
se félicitait que « le sommet de Nice
a été un rendez-vous réussi ».
Nous rappellerons dans notre argumentation que le traité de
Nice a été signé le 26 février
2001 par les 15 Etats alors membres de l’Union
européenne, dont 13 gouvernements socialistes.
Il est entré en vigueur le 1er février
2003 pour les Quinze et le 1er mai 2004 pour les Vingt-Cinq.
Personne n’a observé le moindre « cataclysme » depuis
son entrée en vigueur, même si les politiques
européennes ont continué leurs effets
dévastateurs.
Ce traité prévoit notamment que le mode
de calcul de la majorité qualifiée restera
en vigueur jusqu’en 2009. Ainsi, que le « oui » ou
le « non » l’emportent, rien ne changera
de toute manière, concernant cette question,
avant 2009. Par ailleurs, le traité de Nice
a une durée illimitée, aucun butoir ne
nécessite donc d’accélérer
les discussions pour renégocier la Constitution
ou conclure un ou plusieurs nouveaux traités.
Continuer, comme aujourd’hui, à fonctionner
avec le traité de Nice ne crée donc aucun
vide juridique.
2.- Sur le plan politique
Si la France dit « non » le 29 mai, de
meilleures conditions seraient créées
pour donner une puissante impulsion à la refondation
de l’Union européenne. La France ne sera
pas isolée, c’est exactement le contraire.
Elle reprendra la main. Elle sera au centre du jeu
européen. De toute manière l’Europe
sans la France n’existe pas.
La situation ressemblera à celle que l’on
a connu au moment de la guerre des Etats-Unis contre
l’Irak. Alors que plusieurs pays de l’Union
européenne, et notamment la quasi-totalité des
nouveaux entrants avaient annoncé leur soutien
aux Etats-Unis et promis d’envoyer des troupes,
comme la Grande-Bretagne et l’Italie, la France,
seule, par la voix du président de la République,
s’est opposée à cette guerre. Elle
a été rejointe par l’Allemagne,
puis ensuite par la Russie, la Chine, le Brésil
et de très nombreux autres pays, particulièrement
du Sud. Certes, la France était très
minoritaire parmi les gouvernements européens.
Mais les peuples de l’Union européenne,
eux, soutenaient l’action de la France en faveur
de la paix. Ce sont les gouvernements d’Espagne,
de Grande-Bretagne et d’Italie qui étaient
ultra minoritaires dans leurs propres pays, comme en
ont témoigné les gigantesques manifestations
qui s’y sont déroulées, traduites
dans les sondages.
En cas de victoire du « non » en France,
la situation sera identique : les gouvernements de
l’Union déploreront ce vote, mais nous
aurons le soutien d’une très large fraction
des peuples européens. Et nous obtiendrons leur
soutien parce que le « non » que nous portons
est européen. Il est anti-libéral. Il
est universaliste et animé de l’esprit
des Lumières. Que vaut-il mieux avoir ? Le soutien
de gouvernements ultra-libéraux (Berlusconi...)
ou sociaux-libéraux (Blair, Schröder...),
ou celui de la fraction la plus progressiste des peuples
des nations d’Europe ?
En cas de victoire du « non », on nous
demande ce qui se passera sur le plan institutionnel, à l’échelle
européenne, et ce que sera le rôle des
forces qui se sont engagées pour le « non ».
Quelles réponses leur donner ?
a.- Que se passera-t-il pour
les institutions européennes
?
Les institutions européennes (Parlement européen,
Cour de justice, Conseil, Commission) resteront en
place, rien ne changera. Elles seront régies,
comme aujourd’hui, par le traité de Nice.
Selon Le Figaro du 18 avril, il existerait un « plan
de Bruxelles en cas de vote négatif de la France ».
Ce plan écarte l’idée de faire
revoter les Français, comme ce fut le cas pour
les Danois en 1992 et les Irlandais en 2001. Le Conseil
européen devrait faire le point en 2006 et tenir
compte d’éventuels autres rejets de la
Constitution par certains pays. Le traité constitutionnel
pourrait, après négociations, être
réduit pour parvenir à un accord unanime
des Vingt-Cinq. Par ailleurs, des accords pourraient être
conclus entre groupes de pays.
Le schéma de Bruxelles apparaît finalement
assez réaliste. Tous les pays de l’Union
européenne ont en effet intérêt à ce
que la première partie de la Constitution entre
en vigueur. Il s’agit des procédures institutionnelles
prévues pour fonctionner à 25 et non à 15
comme le prévoit le traité de Nice. Le
cas le plus probable est celui, dans un premier temps,
d’une renégociation du traité de
Nice sur cet aspect.
Tout ceci peut aller très vite, quelques semaines
tout au plus.
Les partisans du « oui » veulent nous faire
croire qu’une renégociation serait impossible.
C’est de l’intoxication, car cette négociation
a déjà eu lieu ! La partie I du traité constitutionnel,
qui porte notamment sur les « institutions et
organes de l’Union », est le résultat
d’un compromis déjà réalisé.
Il suffira de reprendre cette partie de la Constitution
et de l’intégrer au traité de Nice.
En cas de victoire du « non » en France,
le président de la République et le gouvernement
devraient respecter la souveraineté populaire.
Le résultat de ce référendum donnera
un mandat au président de la République
et au gouvernement qui devraient agir, au sein des
institutions européennes, conformément à la
volonté populaire.
Ils devraient commencer par faire de la pédagogie
en Europe. Un « non » français pourrait
en effet traumatiser certains gouvernements de l’Union.
Il faudra donc leur expliquer le sens de ce résultat.
Au-delà des gouvernants, c’est aux citoyens
des pays de l’Union qu’il faudra faire
comprendre les raisons du « non » français.
Si le gouvernement français voulait respecter
la volonté populaire, il saisirait l’occasion
de la réunion du Conseil européen du
16 juin 2005. Après les référendums
en France et aux Pays-Bas, ce Conseil devrait être
l’occasion d’engager la refondation de
l’Union européenne sur des bases radicalement
nouvelles. Le chef de l’Etat devrait y faire
une déclaration solennelle invitant les autres
pays membres à reprendre les discussions sur
les questions qui auront motivé le « non » français.
Mais n’ayons pas d’illusions.
Il est peu probable que Jacques Chirac agisse de la
sorte. L’expérience en témoigne.
Elu face à Le Pen au deuxième tour de
la présidentielle, grâce aux voix de gauche
et de droite, Chirac aurait dû conduire une politique
qui tienne compte de cette réalité. Au
lieu de cela il a choisi de ne tenir aucun compte des
conditions très particulières de son élection,
et de s’engager dans une fuite en avant ultra-libérale.
Tout reposera donc, comme toujours, sur les mobilisati
ons populaires.
b.-
Quel pourrait être le rôle des forces
qui se sont engagées pour le « non »,
en France et ailleurs ?
Ces mobilisations à organiser en France et
en Europe auront pour but de peser sur les gouvernements,
le Conseil et la Commission afin d’infléchir
la construction européenne.
Elles pourraient se décliner en quatre axes
:
Il faudra stopper de toute
urgence les projets nuisibles que concocte la Commission
européenne.
Il s’agit des directives européennes en
cours (Bolkestein sur les services, sur le temps de
travail, sur les transports...) qui devront être
retirées.
Un moratoire immédiat devrait être déclaré sur
la libéralisation des services publics et les
privatisations qui suivent généralement.
Au sein de l’OMC, le représentant de l’Union
européenne devrait annoncer le retrait de l’Union
des négociations sur l’Accord général
sur le commerce des services (AGCS).
Il faudra clarifier le point
de savoir s’il
faut lutter pour une autre constitution ou pour des
traités thématiques.
En cas de victoire du « non », nous devrons
nous mettre d’accord pour savoir si nous devons
lutter pour amender la Constitution, en élaborer
une nouvelle ou nous orienter vers une construction
européenne fondée sur des traités
thématiques à géométrie
variable. Dans son document, le professeur de droit
de Marseille, Monsieur Chouard, qui fait un tabac sur
Internet, rappelle qu’une constitution ne doit
pas être octroyée par les puissants, mais
qu’elle doit être établie par le
peuple lui-même, précisément pour
se protéger de l’arbitraire des puissants à travers
une assemblée constituante, indépendante, élue
pour cela et révoquée après. Or
le texte de la Constitution européenne a été écrit
par les puissants, par ceux qui sont au pouvoir ou
qui l’ont été, et qui sont ainsi
juge et partie.
Lutter pour une nouvelle constitution, si tel était
le choix que nous retenions, devrait commencer par
l’élaboration de propositions permettant
d’établir une assemblée constituante
réelle à l’échelle européenne.
Ce serait le seul moyen de construire une véritable
union européenne démocratique. Ne pas
commencer par la mise en place d’une assemblée
constituante ne ferait que reproduire le schéma
actuel : une union européenne contrôlée
par les élites, construite par en haut en dehors
des peuples européens.
L’autre alternative, plus efficace, serait de
lutter pour des traités thématiques.
Ils ne rassembleraient pas nécessairement les
25 pays membres actuels de l’Union.
Chacun doit pouvoir progresser à son rythme,
et certains traités pourraient être signés à 6, à 12, à 25, à 30.
Ils pourraient concerner la politique monétaire,
le Pacte de stabilité, les services publics,
la fiscalité, les délocalisations, les
droits sociaux... C’est ce qu’on appelle
les « coopérations renforcées » qui
pourront fonctionner très rapidement. Il n’y
a pas besoin de constitution pour cela.
De toute manière, après le « non » il
faudra renégocier le traité de Nice,
en bloc ou par morceaux.
Il faudra définir quelques éléments principaux de « ruptures » avec
les politiques néolibérales européennes. Une victoire
du « non » donnera l’occasion de redéfinir les objectifs
de la construction européenne et les moyens d’y parvenir. Pourquoi « faire » l’Europe
? Comment ? Avec qui ? Quels projets ? Quelles coopérations ? Quels
points renégocier ?
La construction européenne doit être purgée des politiques
néolibérales, particulièrement de la « concurrence
libre et non faussée » et du « libre échange ».
L’Europe doit enfin devenir démocratique, indépendante,
solidaire, internationaliste. Elle doit viser au développement économique
et social et au bien-être de tous les peuples du continent, dans la coopération
avec les autres pays, particulièrement ceux du Sud. Quelques pistes
sont indiquées en annexe.
Elargir la mobilisation à l’échelle de toute l’Europe.
Si le « non » triomphe en France, de nombreux débats seront
suscités en Europe, dans les partis politiques, les syndicats, les associations,
et plus généralement parmi les citoyens. Il ne faudra pas compter
sur le gouvernement pour expliquer le « non » français.
A nous de le faire ! Il faudra trouver les moyens d’organiser des rencontres,
dans ces pays, pour élargir le cercle de ceux qui veulent une autre
Europe.
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